Affichage environnemental français & PEFCR : vers une convergence franco-européenne pour le secteur textile
Comment le dispositif français d'affichage environnemental textile converge avec le PEFCR européen ? Méthodologies, calendrier ESPR 2027 et enjeux du Digital Product Passport.
Une base commune solide : Les deux dispositifs s'appuient sur le cadre du PEF qui est basé sur l'Analyse du Cycle de Vie des produits. Le PEFCR européen résulte d'un processus scientifique sans cadre juridique pour la communication (6 versions, 6 000 commentaires, 150 études) tandis que la France a privilégié une approche basée sur le cadre du PEF auquel elle ajouté des compléments (durabilité non physique, microfibres) permettant de faciliter le passage à l'échelle de la communication.
Des convergences en cours : Quatre chantiers prioritaires ont été identifiés : alignement sur les protocoles de durabilité, contribution aux travaux sur l'EF 4.0 (les bases de données EF 3.1 expirent fin 2025), intégration des microfibres et de la biodiversité de le calcul de l'impact, et partage des modalités de déploiement à grande échelle.
Le calendrier réglementaire européen : L'acte délégué de l'ESPR (Ecodesign for Sustainable Products Regulation) pour l'habillement est attendu courant 2027, celui pour la chaussure est prévu mais sans timeline précise (informations attendues en 2026). Un acte délégué pour le Digital Product Passport estégalement attendu en 2027 et constituera le support technique de transmission des informations environnementales aux consommateurs et à la chaîne de valeurs.
L'enjeu stratégique : Loin de s'opposer, les approches française et européenne ne se veulent pas concurrentes mais se nourrissent mutuellement. La France fournit un terrain d'expérimentation grandeur nature avant le déploiement européen obligatoire, tandis que le PEFCR apporte la robustesse scientifique nécessaire à l'harmonisation future. Cette convergence progressive vise à construire un langage environnemental commun permettant aux marques de mesurer leurs impacts, d'améliorer leurs produits et de communiquer de manière transparente et comparable à l'échelle du marché européen.
Plus de 30 000 produits déjà déclarés : le dispositif français d'affichage du coût environnemental prend son envol
Depuis le 1er octobre 2025, plus de 30 000 références textiles ont été déposées sur le portail national de déclaration. Une déploiement engagé qui témoigne de l'opérationnalité du dispositif français d'Affichage Environnemental (AE), mais qui soulève aussi une question stratégique majeure : comment articuler cette dynamique nationale avec le cadre européen du Product Environmental Footprint (PEF) ?
C'est pour répondre à cet enjeu que 2BPolicy organisait, le 22 octobre 2025 à Paris, une matinée d'échanges réunissant le CGDD (Commissariat général au développement durable), l'ADEME, le Secrétariat technique du PEFCR Apparel & Footwear, ainsi que plusieurs représentants d'entreprises et de fédérations du secteur.
Objectif : faire le point sur la feuille de route pour la convergence entre les deux approches et identifier les chantiers prioritaires pour les mois à venir.
Deux dispositifs complémentaires fondés sur une base commune
Le socle partagé : l'Analyse de Cycle de Vie (ACV)
La méthode française et le PEFCR européen s'appuient tous les deux sur le cadre du Product Environmental Footprint (PEF), une approche qui se base sur l’Analyse du Cycle de Vie qui évalue l'impact environnemental d'un produit de sa fabrication jusqu'à sa fin de vie. Les textes officiels français (décret n°2025-957 et arrêté du 6 septembre 2025) inscrivent explicitement la référence au Product Environmental Footprint comme base de calcul du coût environnemental.
En effet, la France a fait le choix stratégique, dès 2023, de s'appuyer sur le cadre méthodologique du PEF européen pour développer son dispositif d'affichage. Les 16 indicateurs d'impact environnementaux définis par la Commission européenne (changement climatique, acidification, écotoxicité, épuisement des ressources, etc.) constituent le socle scientifique commun aux deux approches.
Le PEFCR : un cadre scientifique robuste
Le PEFCR pour l'habillement et la chaussure est le fruit d'un travail collaboratif de grande ampleur. Son élaboration a mobilisé un Secrétariat Technique, avec la participation de grands acteurs comme H&M, Decathlon, Adidas ou encore l'European Outdoor Group.
Le processus de création a été particulièrement rigoureux :
6 versions officielles des PEFCR développées de manière itérative
2 consultations publiques ayant collecté plus de 6 000 commentaires
50 études officielles sur des produits réels commercialisés en Europe et 100 études non officielles
4 revues critiques menées par des panels d'experts indépendants (experts ACV, experts sectoriels, ONG)
Ce travail méthodologique couvre aujourd'hui 13 catégories de produits, du T-shirt aux bottes en passant par les accessoires textiles.
L'affichage du coût environnemental français : priorité à la massification
Si le PEFCR vise à établir un cadre scientifique harmonisé à l'échelle européenne, l'Affichage Environnemental français répond avant tout à une demande citoyenne : permettre à chacun de connaître le coût environnemental d'un produit et de comparer des alternatives plus durables.
Pour atteindre cet objectif de transparence grand public, la France a dû relever un défi de taille : rendre le dispositif déployable à grande échelle, quelle que soit la maturité environnementale des marques.
Quatre conditions ont été identifiées comme essentielles au passage à l'échelle :
Un niveau de calcul très cadré pour faciliter l'adhésion
Des valeurs par défaut volontairement majorantes, incitant les marques à mieux connaître leur chaîne de valeur
Un portail de déclaration centralisé et publique pour faciliter les contrôle et garantir la traçabilité
Un écosystème dynamique d'experts pour accompagner les acteurs
Avec plus de 30 000 références déjà déclarées, cette approche pragmatique démontre déjà son efficacité opérationnelle.
La durabilité : une approche en plusieurs dimensions
C'est sur la question de la durabilité que les deux cadres se distinguent le plus nettement, tout en conservant une logique commune.
Le PEFCR européen a développé un système de multiplicateurs pour ajuster la durée d'utilisation par défaut de chaque catégorie de produits (45 lavages pour un T-shirt, 70 pour un jean, 100 pour un manteau) :
Le multiplicateur de durabilité intrinsèque (IDM), compris entre 0,67 et 1,45, est basé sur un protocole de test rigoureux et sur l'étude DURHABI ayant réalisé plus de 70 000 tests individuels. Il évalue la résistance physique du produit selon des standards internationaux.
Le multiplicateur de réparabilité (RM), variant de 1 à 1,15, prend en compte le ratio coût de réparabilité, la disponibilité des pièces détachées et des services de réparation, ainsi que le partage d'informations sur le "droit à la réparation".
Le multiplicateur de durabilité extrinsèque, actuellement fixé à 1 dans l'attente d’études complémentaires. Des études ont déjà identifié les trois raisons principales de fin de vie des vêtements : fin de vie technique (37%), mauvais ajustement (28%) et valeur perçue — mode, qualité perçue — (35%).
Le cadre français, quant à lui, a fait des choix différents pour faciliter le déploiement à grande échelle. Il intègre un coefficient de durabilité unique (variant de 0,67 à 1,45) qui englobe la durabilité extrinsèque et la réparabilité en prenant en compte :
La largeur de gamme
Le prix du produit
L’existence d’un service de réparation
Des paramètres de calcul partiellement différents
Au-delà des questions de durabilité, plusieurs différences opérationnelles distinguent les deux approches :
Des défis techniques communs à anticiper
L'enjeu crucial des bases de données environnementales
L'un des points d'attention majeurs évoqués lors de la conférence concerne l'avenir des bases de données environnementales. Les bases EF 3.1, qui contiennent plus de 850 jeux de données sur les matières et procédés, arrivent à expiration à la fin de l'année 2025.
Si les core datasets (données de base) resteront disponibles, les données spécifiques sur les matières et procédés devront être réactualisées. Cette échéance pose un enjeu crucial pour la cohérence et la continuité des évaluations.
La question se pose : vers une base EF 4.0 ? Quelles contributions possibles des acteurs français, forts de leur expérience de déploiement à grande échelle ? Le retour d'expérience du dispositif français pourrait alimenter utilement cette réflexion européenne.
La fin de vie et la biodiversité : des sujets à approfondir
Les échanges ont également mis en lumière la nécessité d'approfondir certains aspects encore insuffisamment pris en compte :
La fin de vie des produits, au-delà de la simple modélisation, mérite une attention renforcée pour mieux intégrer les circuits de réemploi et de recyclage
La biodiversité, absente des indicateurs actuels, pourrait faire l'objet d'une révision du cadre PEF
Une dynamique de convergence pragmatique et progressive
Le dispositif français comme terrain d'expérimentation grandeur nature
Les interventions d'Emilie Carasso (CGDD), Pascal Dagras (CGDD), Vincent Colomb (ADEME), Delphine Droz (La Belle Empreinte), Steve Duhamel (Lacoste), Flore Berlingen, Pierre-Alexandre Naud (Alliance du Commerce) et Baptiste Carriere-Pradal (2BPolicy) ont convergé vers un constat partagé : les deux approches ne sont pas concurrentes, elles se nourrissent mutuellement.
Comme l'a souligné le CGDD dans sa présentation de clôture, le dispositif français représente une "opportunité de tester à grande échelle un cadre adossé au PEF". Avec ses 30 000 références déclarées en quelques semaines, la France fournit au niveau européen un retour d'expérience précieux sur :
La faisabilité opérationnelle d'un déploiement massif
L'acceptabilité du dispositif par les acteurs économiques
Les points de friction et les simplifications nécessaires
L'appropriation par les consommateurs
L'articulation avec le cadre réglementaire européen : ESPR et DPP
Une révision en cours du cadre PEF
Les travaux de convergence s'inscrivent dans un contexte européen en pleine évolution. La révision du cadre PEF est actuellement en cours, pilotée par le Technical Advisory Board (TAB). D'ici la fin de l'année 2025, la Commission européenne devrait communiquer sur ces travaux et se donner six mois supplémentaires pour conclure, ouvrant ainsi prochainement une phase de concertation élargie.
Cette révision porte sur plusieurs aspects clés :
La revue des pondérations entre indicateurs
La question des données par défaut (majorantes ou moyennes)
L'intégration potentielle de nouveaux indicateurs environnementaux
Le calendrier de l'ESPR et des actes délégués
Le Règlement sur l'écoconception des produits durables (ESPR - Ecodesign for Sustainable Products Regulation) constitue le cadre juridique européen obligatoire qui donnera force de loi aux méthodologies environnementales.
Pour l'habillement, la Commission européenne annonce une adoption de l'acte délégué courant 2027. Le processus d’adoption est le suivant : la Commission doit proposer un texte et le faire valider par le JRC (Joint Research Centre), le faire concerter par l'écosystème, puis le transmettre au Parlement européen et aux États membres. L'entrée en vigueur effective interviendrait au minimum 18 mois après cette adoption.
Pour la chaussure, un acte délégué est prévu mais sans timeline précise à ce stade. Des informations plus détaillées sont attendues courant 2026. L'ADEME a toutefois identifié la chaussure comme prioritaire pour ses travaux en 2026.
Le Digital Product Passport : architecture technique et contenu environnemental
Le Digital Product Passport (DPP), prévu par l'ESPR, constituera le support technique de transmission des informations environnementales aux consommateurs et aux acteurs de la chaîne de valeur.
Un acte délégué spécifique au DPP est en préparation, mais il portera uniquement sur son architecture technique et informatique, pas sur son contenu. La question du contenu du DPP sera précisée dans les actes déléguées sectoriels mentionnés plus haut.
Vers un langage commun pour l'environnement textile européen
Au-delà des ajustements techniques, cette convergence progressive vise un objectif stratégique majeur : construire un langage commun permettant aux marques européennes de mesurer leurs impacts, d'améliorer leurs produits et de communiquer de manière transparente et comparable à l'échelle du marché européen.
Dans un contexte où d'autres dispositifs réglementaires se mettent en place (Digital Product Passport, ESPR) cette harmonisation méthodologique constitue un enjeu de compétitivité pour l'ensemble du secteur textile européen.